Par Ahmed SLOUMA
Analyse des performances du tourisme tunisien
Du tourisme en chiffres de l’ONTT, on peut tirer les enseignements suivants :
Depuis 1970 jusqu’à 2018 les paramètres ont évolué comme suit :
-Nombre d’hôtels de 212 à 863
-Capacité en lits de 35 297 à 237 618
-Emplois directs de 14000 à 95 000
-Entrées non-résidents de 410700 à 6 921 000
– Nuitées touristique globales de4 100 000 à27 000 000
Avec un pic de 38 millions en 2008
Les recettes en devises de 31 600MD à 4 141 200 MD
Les investissements sont passés de 14 500MD à 216 277 MD avec une pointe de 376 443MD en 2010 ?
Au delà de ces chiffres publiés, l’addition des recettes et des dépenses annuelles pendant les 48 ans donne les totaux suivants :
-Recettes en devises : 71 293 800 MD
-Investissements : 8 841 869
Donc les investissements ont représenté 12% des recettes.
Les investissements par lit sur la période ont été de 37 000 d par lit soit presque le double des recettes en lit en 2018 qui étaient de 17 628 dinars
De ces constatations on peut tirer les enseignements suivants :
-Le tourisme tunisien a connu durant 48 ans une croissance quasi-continue malgré les crises et les difficultés qu’il a rencontrées.
-C’est un secteur rentable financièrement puisque les investissements ne représentent que 12% des recettes.
Si on considère que le RBE est en moyenne de 30%, le Tourisme dégage un flux de trésorerie excédentaire important dont ont bénéficié l’Etat et l’économie.
-Le Tourisme a constitué un facteur d’entraînement pour plusieurs secteurs économiques : transport, artisanat, bâtiment, agriculture et les autres activités de services.
La situation actuelle :
En raison de la crise du COVID -19, le tourisme mondial est pratiquement à l’arrêt. Quelques pays nantis ont pu assurer une continuité relative de leur activité touristique grâce au tourisme intérieur notamment le tourisme alternatif à caractère rural et les activités en plein air.
Le tourisme tunisien est très dépendant des marchés extérieurs qui se sont actuellement refermés sur eux même. Le transport aérien à partir des principaux marchés européens est à l’arrêt et les marchés maghrébins sont fermés.
Les 868 hôtels avec leur capacité de 237 618 lits sont un véritable patrimoine national indépendamment de leur statut de propriété.
Les gestionnaires et les propriétaires de ces établissements rencontrent des difficultés financières qui les empêchent de leur assurer un entretien convenable, tout en assurant la rémunération de leur personnel. Il peut en résulter une dégradation telle que la reprise de leur activité, après la crise, sera très coûteuse sinon impossible pour certains établissements.
L’activité des agences de voyage, des guides touristiques, des restaurants touristiques et de tous les établissements de sport et de loisirs touristiques sont également à l’arrêt.
Au cas où cette situation continue, les cadres et le personnel des établissements touristiques qui ne seront plus payés par leurs employeurs vont chercher à se placer dans d’autres secteurs d’activités ou grossir les rangs des chômeurs.
En conséquence une réaction urgente de la part des décideurs est nécessaire.
Actions urgentes pour préserver le secteur durant la crise :
-Assurer la continuité de l’activité des hôtels et autres établissements touristiques pendant la crise : hébergement, restauration, entretien des jardins ainsi que celle des agences de voyages et des établissements de loisirs touristiques avec une clientèle limitée de nationaux et de quelques étrangers qui continueront à venir en Tunisie malgré la situation difficile. Les prix et la nature des prestations et services sont à adapter en conséquence en tenant compte des exigences et des moyens de cette clientèle.
-Maintenir les contacts avec les partenaires commerciaux sur les marchés émetteurs pour assurer la reprise de l’activité le plus tôt possible.
-Ouvrir les établissements touristiques sur leur environnement immédiat et utiliser en conséquences la logistique et les moyens humains dont ils disposent en excédent pour les actions à caractère environnemental et social en contribuant aux travaux de nettoyage et d’entretien de l’environnement et tout autre taches à identifier avec les autorités régionales et locales. La participation au confinement des malades a effectivement été assurée par des hôtels.
– Stimuler le tourisme intérieur en encourageant les associations, mutuelles, et entreprises à fréquenter les hôtels pour leurs réunions ou séjours. Des subventions sous forme de chèques de vacances ou de soutien aux congrès, conseils d’administration, et réunions d’entreprises sont à envisager.
Ces actions nécessiteront la mobilisation de financements qui feront l’objet de propositions de notre part dans une dernière partie de cette note.
Préparation du retour de l’activité touristique à la normale après la crise
Les études sur le tourisme tunisien à la fin du siècle dernier et au début du 21e siècle ont montré que le secteur , qui stagne notamment depuis 2002, comporte plusieurs défaillances qu’il faut résoudre au plus tôt.
Nous proposons que cette période d’arrêt de l’activité touristique soit utilisée par les administrations et les professionnels tunisiens pour trouver les mesures adéquates pour lever ces défaillances et assurer une bonne reprise du Tourisme après la crise.
Des actions sont à engager dans les domaines suivants :
-La résolution des problèmes du transport aérien surtout en ce qui concerne la restructuration de TUNIS AIR, les taxes des aéroports et la prise d’une attitude claire concernant l’open sky et les redevances sur les compagnies étrangères qui chartérisent sur les aéroports tunisiens.
-choix des circuits futurs de distribution des produits touristiques tunisiens : Réservations directes, plateformes, tour opérateur, comités d’entreprise et association.
-Distribution des rôles entre l’administration et les opérateurs en matière de promotion touristique.
Mise à niveaux des hôtels et autres établissements touristiques. Envisager la possibilité d’affecter certains établissements à des secteurs précis comme les maisons de retraite.
-Elaboration d’une stratégie de diversification des offres touristiques aussi bien des produits classiques que des offres de produits nouveaux dont le tourisme alternatif et rural.
-Poursuite des efforts en matière d’amélioration des infrastructures dans les régions et circuits touristiques : routes, eau potable, énergie notamment par le recours au photovoltaïque.
-Continuer les efforts en matière de sécurité touristique surtout lors des déplacements dans les zones rurales et les villages.
-Analyser et restructurer éventuellement les organismes de tutelle et de soutien aux entreprises touristiques : ONTT, AFT Agence de formation touristique, société des loisirs touristiques…
Financement du tourisme pendant la crise pour la continuation de son activité et une reprise dans de bonnes conditions
Le tourisme tunisien s’est développé depuis les années 1960 grâce à une politique volontariste de l’Etat tunisien et au soutien des institutions internationales et des pays amis de la Tunisie. La bonne image de marque de notre pays, qui s’est positionné parmi les nations en tant que pays de paix et de tolérance ouvert envers les étrangers, a aidé dans le développement du Tourisme.
Durant ces 60 ans, s’est constitué le capital fixe, le patrimoine et le savoir-faire touristiques évoqués plus haut et connus de toute l’humanité.
Pour permettre aux générations futures de profiter de ce patrimoine, il est nécessaire de le préserver, le mettre en valeur et l’adapter aux exigences de la clientèle du 21e siècle.
Des moyens financiers doivent être mobilisés pour la continuation de l’activité et la préparation de la reprise du tourisme après la crise.
Dans le contexte actuel, l’Etat à lui seul ne semble pas en mesure de mobiliser ces financements. Il est en conséquence nécessaire d’assurer le plus de coopération possible à cet effet entre les opérateurs touristiques, l’Etat tunisien, et les partenaires financiers internationaux.
Pour faire face à ces exigences nous préconisons de :
-Faire un plan financier pour chaque établissement durant les 3 prochaines années lui permettant de continuer son activité normale et la participation aux efforts des collectivités locales.
-Déterminer les financements nécessaires pour préparer l’établissement à être compétitif lors de la reprise.
-Estimer les moyens financiers que l’établissement peut mobiliser lui-même.
-Mobiliser les moyens financiers additionnels auprès des organismes financiers nationaux (CDC, banques, assurances et budget de l’Etat) et auprès des organismes financiers internationaux (banque mondiale, financements dans le cadre de la coopération avec les Etats (AFD, fonds des pays du Golf, fonds d’autres pays Européens). Ces financements peuvent se faire comme participation au capital des entreprises ou de crédits à long terme selon la situation de l’établissement. Pour cela on peut s’inspirer des expériences des banques et fond de développement auquel on a fait recours (BDET, BNDT et autres société de développement)
Il s’agit là de formules de financement qui généreront dans l’avenir des recettes utiles pour toutes les parties.
-La reprise de la législation en matière d’investissement touristique notamment un nouveau code des investissements est à envisager.
Conclusion
Le tourisme tunisien a contribué au développement économique et social du pays.IL a semblé s’essouffler durant les dernières années, la crise du COVID-19 l’a particulièrement touché.
Il peut jouer un rôle encore important dans le développent du pays si la volonté politique le replace à nouveau parmi les priorités du pays.
Qui est Ahmed Slouma ?
Licencié en Sciences Eco, diplômé de Cycle Moyen de l’ENA Tunis, titulaire d’un 3ème Cycle en Gestion, il est l’une des grandes figures du tourisme tunisien avec une longue carrière de près de 40 ans de services, pendant laquelle il a gravi tous les échelons et occupé les plus hautes fonctions ; ancien PDG de l’ONTT, de l’Office du Thermalisme, de l’AFT, de la SLT, Chef de cabinet du ministre du Tourisme, une grande expérience à l’international, et bien d’autres missions à son actif.